Qui est Lucifer ?

Qui est Lucifer ? Lucifer est-il un autre nom pour Satan ? Mais l’Exultet (la prière liturgique de bénédiction du cierge pascal durant la nuit de Pâques) appelle Jésus le Lucifer… comment est-ce possible ?

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   Il faut revenir à saint Jérôme (IVe-Ve s.) et à sa traduction latine de la Bible depuis le grec et l’hébreu pour comprendre ce double emploi du terme « lucifer », qui signifie en latin littéralement « celui qui porte la lumière », suivi de la transformation de cette expression en nom propre « Lucifer », qui désigne effectivement le démon, aussi bien en théologie que dans la langue française.

   S’appuyant sur la Septante (version grecque de l’Ancien testament), qui avait traduit l’expression en hébreu d’Isaïe 14, 12 : « Astre brillant, fils de l’aurore » par le grec « Eosphoros », « celui qui apporte la lumière » (à propos du roi de Babylone qui avait été « déchu des cieux »), saint Jérôme la traduisit à son tour par le latin « lucifer », « celui qui porte la lumière ». Or, celui qui avait été déchu des cieux était Satan, l’ange rebelle, comme cela est clairement exprimé dans l’évangile de saint Luc 10,18 ou dans le livre de l’Apocalypse 22,16. De plus, cet ange déchu, qui brillait auparavant d’un éclat éblouissant et d’une beauté égale au Créateur, comme le disent les Pères de l’Église, est aussi assimilé dans l’Ancien testament au roi de Tyr, dans le passage d’Ezéchiel, 28,11-19. Car tous ces rois (Tyr ou Babylone) qui prétendaient détruire Israël (préfiguration de l’Eglise) se conduisent effectivement comme le prince de ce monde, le démon. Si ce mot de « Lucifer » n’existe pas dans le texte d’Ezéchiel, c’est bien sur ce texte fondateur que s’appuie la tradition de l’Eglise à propos de Satan : le porteur de lumière, donc Lucifer, qui est déchu du Ciel. Saint Augustin et d’autres Pères de l’Église la répéterons, et il en sera de même à l’époque médiévale (chez saint Bernard, saint Bonaventure, Dante, etc.) comme dans les temps modernes (dans les ouvrages de spiritualité, chez l’illustrateur Gustave Doré, ou encore chez Victor Hugo, etc.).

   Seulement, saint Jérôme a également traduit, avec cohérence, le grec « phosphoros » issu de l’expression « la lumière ou l’étoile du matin » dans un autre passage (2 Pierre 1,19) par le latin « lucifer ». Et cette fois-ci, ce n’est pas l’ange déchu qui est représenté, mais c’est au contraire une image du Christ, celui qui nous apporte la lumière de Dieu dans les ténèbres du Monde, comme l’étoile du matin est la première lueur qui annonce l’aurore !

   Pour la petite histoire, saint Jérôme avait encore utilisé ce terme générique « lucifer » deux autre fois d’une manière générale : dans Job 8,32 et Job 11, 17.  Car « lucifer », le porteur de lumière, c’est aussi l’astre du matin. Nous avons vu que c’était le cas dans la Septante d’Isaïe, et c’est également le cas dans la littérature romaine (chez Cicéron, Virgile, etc.), laquelle n’avait pas de secret ni pour saint Jérôme, ni pour les autres Pères de l’Eglise. L’astre du matin, « stella matutina » en latin, était alors une qualification de Vénus, la planète qui annonce la lumière. L’assimilation avec le Christ, « lucifer » qui est la Lumière du monde, était donc évidente. D’où le passage de l’Exultet qui appelle « lucifer » le Christ. Dans les hymnes du bréviaire, on parle aussi de « lucifer » en parlant de la lumière et de l’étoile du matin, et l’expression « stella matutina », elle, est souvent appliquée à la Sainte Vierge !

   En tous cas, dans le langage courant, retenons que Lucifer est bien un nom du démon, l’ange déchu des cieux, tandis que le Christ, lui, est le porteur de lumière, l’étoile du matin, la lumière du monde !