Si Dieu existe, pourquoi y a-t-il le mal ?

Si Dieu existe, pourquoi y a-t-il le mal ?

Etudiant, 20 ans

   Le mal existe : c’est un fait. Que nous le commettions ou que nous le subissions, on ne peut pas y échapper. Et si nous sommes autant atteints par ce mal, c’est parce qu’il crée dans notre vie des déchirures, des ruptures qui nous empêchent d’atteindre ce pour quoi nous sommes faits : être heureux ! Tout le monde veut être heureux « même, comme le dit Pascal, celui qui va se pendre ».Face à ce fait, qui ne s’est jamais posé la question : si Dieu existe pourquoi le mal existe-t-il ? En serait-il responsable, voire coupable ?

   Voilà le fond du problème ! Parvenir à concilier l’existence du mal et ce que la foi enseigne : un Dieu qui est « le Père Tout-puissant » et un Dieu qui est bon, qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jn 3,16).

   Face à ce dilemme, plusieurs attitudes sont possibles. L’une d’elles, et c’est un drame, consiste en un rejet radical de Dieu. Le mal existe, donc Dieu n’existe pas. Pis encore, il ne peut pas exister. D’autres rendent Dieu coupable de ce mal : Dieu le veut ! Quelle absurdité. Heureusement des penseurs ont cherché à montrer l’innocence de Dieu : parmi eux, saint Thomas d’Aquin, au 13ème siècle.

   Sa démarche trouve son point de départ dans la citation de saint Jean ci-dessus. « C’est le péché de l’homme qui a entraîné Dieu à se faire homme et à vouloir mourir sur la Croix, pour partager avec nous tout le mal du monde ». Il aurait pu nous racheter autrement. Il a pris au sérieux, il a pris au tragique l’existence du mal, il en a pris… sa part de responsabilité, au point de vouloir en subir les affres dans son humanité. Voilà la réponse chrétienne, telle qu’elle est enseignée par saint Thomas d’Aquin. Dieu a accepté la possibilité du mal, non pas pour nous y abandonner mais pour réaliser une œuvre encore plus belle que sa Création : « Ô bienheureuse faute qui nous a valu d’avoir un tel Rédempteur », chante le diacre lors de la Vigile Pascale, le Samedi-Saint.

   Mais quelle est cette faute ? Quel est ce mal ?

   Le mal est tout d’abord une absence. Mais une absence qui n’est pas une simple absence. Par exemple, l’absence de vue pour une table n’est pas un mal. En revanche, l’absence de vue pour un homme est un mal. Elle est le manque de quelque chose qui lui est due : la vue. Ce quelque chose étant par ailleurs un bien. La mal est donc une absence d’un bien dû. On appelle cela une privation.

   Qu’est-ce que cela entraîne ? Eh bien que le mal existe et n’existe pas. Prenons l’exemple d’un trou dans du fromage. Le trou n’est pas le fromage. Au contraire, il est une absence de fromage. A ce titre il n’est pas quelque chose. Il existe comme une privation du bien (le fromage qui devrait être ici). En revanche, il existe bien dans le fromage qui est comme son support. Si l’on supprimait le fromage, le trou disparaîtrait à coup sûr. Le mal est donc comme un trou qui se greffe sur quelque chose qui existe et qui est un bien. Le mal est dans la chose mais le mal n’est pas une chose. Conclusion importante qui nous permet de comprendre deux points : Primo, que le mal accompagne toujours un bien et, secundo, que le mal absolu n’existe pas.Le mal a toujours besoin d’un bien pour exister. Là où il y a du mal, il y a toujours un bien. Pour que le mal puisse exister il faut qu’il y ait un support dans lequel le mal puisse faire son office de rongeur. Un mal absolu ne peut donc pas exister. En revanche, le bien, par définition n’a pas besoin d’un mal pour exister. Un bien absolu peut donc exister. Voilà de quoi nous rassurer !

   Par ailleurs, puisque le mal existe dans un bien qu’il ronge, alors la gravité du mal sera connexe à la grandeur du bien atteint. Il est plus grave de perdre la vie que de perdre la vue. Il existe donc des maux plus ou moins grave.

   Mais quelle est la cause du mal ?

   Le mal, comme on l’a dit, n’est pas quelque chose. Pour cette raison, il ne peut pas avoir de but, de finalité. En effet, c’est parce que le fromage est du fromage qu’il peut remplir sa tâche : nous nourrir. Quant au trou dans le fromage, il n’est pas quelque chose, il ne peut pas me nourrir. Le mal n’a pas non plus de cause efficiente, plutôt une cause « déficiente ». La cause efficiente, c’est celle qui fait une chose, qui la fabrique. La cause efficiente de notre fromage est le berger qui a pris soin de transformer le lait de ses brebis en fromage. En revanche, le mal a une cause matérielle (le trou a comme cause matérielle le fromage lui-même), un support dans lequel il existe. Et ce support est un bien. Le mal aura donc toujours comme cause un défaut, une anomalie qui vient ronger le bien d’une chose, et non pas une cause qui le réalise positivement.

   Nous en arrivons à notre conclusion : si l’on a compris cette définition du mal comme « privation d’un bien dû », on comprend aussi sa conséquence, à savoir que le mal, en tant que tel, n’a pas de cause efficiente. Ainsi, on peut en conclure que Dieu, qui est absolument parfait, ne peut pas être cause du mal, puisque cela reviendrait à dire que Dieu cause un défaut, une absence, une privation, un non-être – ce qui est contradictoire. Dieu est donc innocent. Si le mal existe, donc, c’est parce que Dieu permet, dans sa Puissance, que d’autres êtres, inférieurs et imparfaits, ajoutent à la perfection de son œuvre, par leur intervention, des défauts, des négations, du non-être… Pourquoi le permet-il, cela est une autre question